lundi 9 mars 2015

Sois sage... (2)


Dans cet article, je vous parlais des différentes formes de violence. D'abord la maltraitance, puis la violence qui ne laisse pas de trace, celle qui passe par les gestes mais aussi souvent par les mots.
C'est cette dernière que l'on appelle "Violence éducative" car les parents en font un outil éducatif.

Cette manière d'éduquer les enfants provient peut-être du fait que, pendant longtemps, les humains ont vu leurs petits soit équivalents à "une page blanche" sur laquelle tout restait à inscrire, soit comme de vilain petit diablotin, manipulateurs, capricieux, qui voulaient marcher sur la tête de leur parents et qu'il fallait absolument redresser.

Qu'en est-il des résultats d'une éducation qui "redresse" l'enfant, qui le contraint d'entrer dans un moule et d'adopter des attitudes "pour son bien", une éducation coercitive ?
Quels sont les résultats d'une éducation violente ?

A court terme :

Quand un parent lève la main sur un enfant, qu'obtient-il ?
La plupart du temps, un mouvement de recul (si cela c'est déjà produit), un bras levé en guise de protection. L'enfant ne déguerpi que rarement. La plupart du temps, il laisse le coup tomber.
C'est la peur qui le tient, la sidération aussi, peut-être la surprise. Ensuite vient la tétanie. L'incapacité à se rebeller contre ce geste car il vient de ses parents, des personnes dont il dépend complêtement. Il ne peut pas fuir.
Ensuite vient la douleur, physique ou morale dans le cas d'un hurlement, d'une punition ou d'une humiliation. Puis les pleurs et peut-être la colère.
Ensuite vient éventuellement la soumission,

A moyen terme :

J'ai vu le week-end passé le film "Papa ou maman". On y voit le papa "jouer" au paintball avec son fils, le toucher, le faire tomber, puis à bout portant lui tirer à plusieurs reprise dans les jambes. Le soir la mère voit les bleus sur les jambes de son fils et lui demande "Mais il l'a fait exprès ?" et le fils de répondre "Euh non, j'crois pas".
Laurent Laffite Papa violentenfant maltraité 

Bien sur ce n'est qu'un film... mais parfois la réalité est bien pire que la fiction.


L'enfant va nier la violence reçue, et cela pendant plusieurs dizaines d'années, parce qu'il est entièrement dépendant de ses parents et donc, s'il reçoit cette violence, c'est qu'il l'a entièrement méritée. Ce sentiment est bien renforcé par la parole du parent :
  • "Tu verras quand tu auras des enfants tu comprendras"
  • "C'est pour ton bien que je fais ça"
  • "Ca me fait plus de mal qu'à toi"
Cela va également renforcer le sentiment que l'enfant est mauvais, méchant, qu'il doit être "redressé" par ses parents. Et puis comme les parents ne mentent jamais puisqu'ils dénoncent le mensonge comme étant mal, l'enfant va croire ses parents, il va croire qu'il est foncièrement méchant / maladroit / insupportable / égoiste / etc.
Par la suite, il pourra avoir tendance à se conformer à cette image qu'il lui est suggérée et la valider par ses actes.

Dans le film "BIS" sorti il n'y a pas longtemps non plus, on voit Gerard Darmon dire à son fils interprêté par Franck Dubosc qu'il est fier de lui. Franck retorque alors "Mais tu dis toujours que je suis un bon-à-rien" et son père dit quelque chose comme "mais non, ça ne veut rien dire, je suis fier de toi". Quelques instants après, le fils annonce qu'il a loupé son bac, et le père de répondre "Bon-à-rien, t'es vraiment qu'un bon-à-rien !". J'ai beaucoup aimé ce film, où l'on perçoit d'après moi de manière assez nette la façon particulière dont nous nous adressons à nos enfants, car les enfants sont joués par des adultes (Franck Dubosc et Kad Merad) mais vu comme de jeunes adolescents par le reste du monde.
Dubosc face à Darmon

C'est assez choquant de les voir se faire punir, giffler, sermoner, juger. D'ailleurs, la plupart du temps, leur réaction est souvent celle d'adultes indépendants : Ils vont justement réagir (bien plus fort que des ados), se mettre en colère, revendiquer leur autonomie. C'est ce décalage qui constitue le ressort humoriste de ce film.
Par ailleurs, Franck Dubosc devenu adulte valide l'étiquetage ("bon-à-rien") posé par son père...

L'enfant va donc se soumettre mais cependant, pour éviter les punitions, les coups, les injures et les hurlements à l'avenir, il va mettre en place des techniques d'évitement, mentir et surtout se promettre de ne plus se faire reprendre la main dans le sac !
En réalité, il y a bien un apprentissage lié à la violence, c'est l'apprentissage de l'évitement.
Il peut aussi, tout au contraire, se juger méchant et penser que les punitions des parents ne sont pas suffisantes. Il va donc s'auto-punir, voire se mutiler. 

A long terme :

L'adolescent n'a plus peur de ses parents, il a acquis de la force et bien souvent les dépasse en taille : il devient incontrôlable. Nous pouvons l'entendre chaque jour dans les actualités. Il perd confiance en ses parents, il se rend compte qu'ils lui mentent parfois, il ne croit plus aux valeurs des adultes autour de lui et peut aller chercher ailleurs d'autres règles du jeu.
A son tour, il sera plus ou moins violent avec ses enfants, mais aussi avec sa femme / ses amis / son entourage, sans jamais se sentir comme tel. 

Pour conclure sur les résultats, je dirais que les enfants font ce qu'on leur montre, et pas ce qu'on leur dit :

Quelles sont les conséquences d'une éducation violente ?

Les conséquences physiologiques

Nous l'avons vu tout à l'heure, pour contraindre l'enfant, le parent utilise sa supériorité (physique ou mentale). Cela engendre en premier lieu la peur chez l'enfant.
Physiologiquement à quoi sert la peur ? Quand l'affrontement est impossible, que le danger est important, la peur permet à tout mammifère de se protéger contre un danger (réel ou imaginé). Le coeur se met à battre plus vite et le sang descend dans les jambes pour préparer la fuite. L'accuité devient plus forte, le temps s'écoule au ralenti.
S'il ne peut fuir, l'animal peut soit combattre, soit se figer, pour ne pas se faire repérer.

Lorsque aucune de ces solutions n'est possible et que le danger est imminent, le cerveau piège l'information dans le "cerveau des émotions" et coupe la mémoire. On peut alors parler de traumatisme quand des souvenirs enfouis de manière innaccessible donnent lieu à des phobies. C'est une conséquence physiologique de la maltraitance.

Ci-dessous une vidéo indiquant de manière synthétique le fonctionnement du cerveau lorsque c'est la colère qui nous submerge :


Les sciences neurologiques font actuellement des pas de géant et confirment beaucoup de choses sur le fonctionnement du cerveau de l'enfant.

Dans sa conférence sur la colère, Brigitte Oriol va plus loin en indiquant que les conséquences physiologiques de la violence éducative ordinaire peuvent être également :
  • l'obésité 
  • la toxicomanie 
  • l'alcoolisme 
  • les troubles du comportement 
  • les cancers
  • la baisse des défenses immunitaires
  • l'asthme

Les conséquences psychologiques

Les conséquences de la violence éducative ne sont pas que physiologiques. Elle laisse des traces dans le psychisme des adultes en devenir.
Par exemple, quand on nie systématiquement les sentiments et les émotions de l'enfant, il finit par ne plus en tenir compte. "Mais non tu n'as pas mal, c'est rien". "Arrête de pleurer comme une fillette, tu es un homme ou quoi ?" "Mais non c'est rien mon chéri, le monsieur est gentil tu vois, n'ais pas peur."
Que se passe t-il quand on ne tient plus compte de ses propres sentiments ? On ne peut plus se fier à son instinct et donc détecter un danger. Un adulte veut vous toucher, vous amener chez lui, vous offrir des bonbons. Quand on a appris à enfouir ses émotions au plus profond de soi, il y a de quoi se sentir déboussolé, voire faire confiance à cet adulte.

Un petit garçon tape sa soeur. La maman arrive et lui donne une tape sur la main : "Arrête de taper ta soeur !". Quel apprentissage peut-il tirer de cette incohérence ? Que les adultes ont le droit de frapper, pas les enfants ? Si les parents maintiennent cette incohérence tout au long de son enfance, comment réagira t-il lorsqu'il se fera racketer par des plus vieux que lui à l'école ensuite ? Sentira t-il qu'il est en droit d'être en colère ? Que c'est injuste ce qui lui arrive ?

Pour Alice Miller, encore une fois, les conséquences de la pédagogie noire vont bien au-delà :
  • dépression
  • suicide
  • délinquance
  • stress post traumatique
Sur ce dernier point, oui oui vous avez bien lu, une étude a rapporté que certains enfants ayant subi une violence forte présentaient des troubles correspondants à un stress post-traumatique, comme certains soldats ont pu en présenter de retour chez eux après une guerre. Vous pouvez par exemple consulter sur ce point ce document de l'Ovéo dont voici un extrait :
On se méprend beaucoup sur la notion de traumatisme, qu'on assimile à tort à un événement horrifique et exceptionnel. [...] Il y a aussi la foule des malheurs ordinaires inhérents à la condition humaine. S'ils ont été vécus dans un sentiment d'impuissance et de désespoir, ils peuvent eux aussi laisser une cicatrice douloureuse longtemps après les faits. Tous ceux qui ont eu des parents violents, vécu une relation pénible, la mort d'un ami ou même un accident le savent bien. Ils ne présenteront pas forcément tous les symptômes de l'Etat de Stress PostTraumatique » mais « nos recherches nous montrent qu'à un degré moindre de très nombreuses personnes portent la trace du trauma dans leur corps
(à suivre...)

Dans un prochain article, nous verrons pourquoi nous sommes violents avec nos enfants. Et bien sûr, nous verrons ensuite comment faire autrement...

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